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TRAGEDIE

Malgré la juſte horreur que ſon crime me donne,
Tant qu’il viura, craignez que je ne luy pardonne.
Doutez juſqu’à ſa mort d’vn courroux incertain,
S’il ne meurt aujourd’huy, je puis l’aimer demain.

ORESTE.

Hé bien, il faut le perdre, & préuenir ſa grace.
Il faut… Mais cependant que faut-il que je faſſe ?
Comment puis-je ſi-toſt ſeruir voſtre courroux ?
Quel chemin iuſà luy peut conduire mes coups ?
À peine ſuis-je encore arriué dans l’Epire,
Vous voulez par mes mains renuerſer vn Empire.
Vous voulez qu’vn Roy meure, & pour ſon chaſtiment,
Vous ne donnez qu’vn jour, qu’vne heure, qu’vn moment.
Aux yeux de tout ſon Peuple il faut que je l’opprime ?
Laiſſez-moy vers l’Autel conduire ma Victime.
Ie ne m’en défens plus. Et je ne veux qu’aller
Reconnoiſtre la place où je dois l’immoler.
Cette Nuit je vous ſers. Cette Nuit je l’attaque.

HERMIONNE.

Mais cependant ce Iour il épouſe Andromaque.
Dans le Temple déja le trône eſt éleué.
Ma honte eſt confirmée, & ſon Crime acheué.
Enfin qu’attendez-vous ? Il vous offre ſa Teſte.
Sans Gardes, ſans défenſe il marche à cette Feſte.
Autour du Fils d’Hector il les fait tous ranger.
Il s’abandonne au bras qui me voudra vanger.
Voulez-vous, malgré luy, prendre ſoin de ſa vie ?
Armez auec vos Grecs, tous ceux qui m’ont ſuivie.
Souleuez vos Amis. Tous les miens ſont à vous.
Il me trahit, vous trompe, & nous mépriſe tous.