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BRITANNICUS.
Neron nous écoutoit, Madame ! Mais, helas !

Vos yeux auroient pû feindre & ne m’abuſer pas.
Ils pouvoient me nommer l’auteur de cét outrage.
L’amour eſt-il muet, ou n’a-t-il qu’un langage ?
De quel trouble un regard pouvoit me preſerver ?
Il falloit…

JUNIE.
Il falloit… Il falloit me taire, & vous ſçauver.

Combien de fois, helas ! puis qu’il faut vous le dire,
Mon cœur de ſon deſordre alloit-il vous inſtruire ?
De combien de ſoûpirs interrompant le cours
Ay-je évité vos yeux que je cherchois toûjours !
Quel tourment de ſe taire en voyant ce qu’on aime !
De l’entendre gemir, de l’affliger ſoy-meſme,
Lors que par un regard on peut le conſoler !
Mais quels pleurs ce regard auroit-il fait couler !
Ah ! dans ce ſouvenir inquiete, troublée,
Je ne me ſentois pas aſſez diſſimulée.
De mon front effrayé je craignois la paſleur,
Je trouvois mes regards, trop pleins de ma douleur.
Sans ceſſe il me ſembloit que Neron en colere
Me venoit reprocher trop de ſoin de vous plaire,
Je craignois mon amour vainement renfermé,
Enfin, j’aurois voulu n’avoir jamais aimé.
Helas ! pour ſon bon-heur, Seigneur, & pour le nôtre,
Il n’eſt que trop inſtruit de mon cœur & du voſtre.
Allez encore un coup, cachez vous à ſes yeux.
Mon cœur plus à loiſir vous éclaircira mieux.
De mille autres ſecrets j’aurois conte à vous rendre.

BRITANNICUS.
Ah ! N’en voilà que trop pour me faire comprendre,

Madame, mon bon-heur, mon crime, vos bontez.
Et ſçavez-vous pour moy tout ce que vous quittez ?