Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/100

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Qui foule aux pieds pour vous vos vainqueurs en colère,
Qui ne se souvient plus qu’Achille étoit son père,
Qui dément ses exploits et les rend superflus ?

ANDROMAQUE.

Dois-je les oublier, s’il ne s’en souvient plus ?
Dois-je oublier Hector privé de funérailles,
Et traîné sans honneur autour de nos murailles ?
Dois-je oublier son père à mes pieds renversé,
Ensanglantant l’autel qu’il tenoit embrassé[1] ?
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants.
Entrant à la lueur de nos palais brûlants,
Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et de sang tout couvert échauffant le carnage[2].
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants[3].
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ;
Voilà par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l’époux que tu me veux donner.
Non, je ne serai point complice de ses crimes ;
Qu’il nous prenne, s’il veut, pour dernières victimes.
Tous mes ressentiments lui seroient asservis.


  1. Priamumque per aras
    Sanguine fœdantem quos ipse sacraverat ignes.

    « Priam sur l’autel ensanglantant le foyer qu’il avait consacré. »

    (Virg., Én., II, 501-2.)

    Cf. V. 550 et 551. — À mes pieds s’explique par Virgile, Én.,II, 515-518 : « Alors Hécube et ses filles, autour des autels… ».
    Hic Hecuba et natæ nequicquam altaria circum, etc.

  2. Voir les traits dont Virgile peint Pyrrhus, Én., II, 469-482 ; 491 ; 499 ; 525-532.
  3. Ce tableau est un énergique résumé du livre II de l’Énéide.