Qu’il veut toujours se plaindre, et ne mériter rien.
Partez : allez ailleurs vanter votre constance,
Et me laissez ici le soin de ma vengeance.
De mes lâches bontés mon courage[1] est confus,
Et c’est trop en un jour essuyer de refus.
Je m’en vais seule au temple, où leur hymen s’apprête,
Où vous n’osez aller mériter ma conquête[2].
Là, de mon ennemi je saurai m’approcher :
Je percerai le cœur que je n’ai pu toucher[3] ;
Et mes sanglantes mains, sur moi-même tournées,
Aussitôt, malgré lui, joindront nos destinées ;
Et tout ingrat qu’il est, il me sera plus doux
De mourir avec lui que de vivre avec vous.
Non, je vous priverai de ce plaisir funeste.
Madame : il ne mourra que de la main d’Oreste.
Vos ennemis par moi vont vous être immolés.
Et vous reconnoîtrez mes soins, si vous voulez[4].
Allez. De votre sort laissez-moi la conduite[5],
Et que tous vos vaisseaux soient prêts pour notre fuite.
- ↑ Courage : cœur. Sens commun alors en prose et en vers, et dans le langage de tous les jours.
- ↑ C’est ici qu’on accusait Racine d’avoir volé Corneille. Voir dans Cinna (III, 4) l’effort de Cinna pour faire révoquer par Émilie l’arrêt du meurtre d’Auguste.
- ↑ Pointe déjà vue.
- ↑ Après ce vers, Racine a supprimé les quatre suivants :
Mais, que dis-je ? ah ! plutôt permettez que j’espère.
Excusez un amant que trouble sa misère,
Qui tout prêt d’être heureux, envie encor le sort
D’un ingrat, condamné par vous-même à la mort. (Éd. 1668-76.).
C’était bien fade.
- ↑ La conduite : sens actif, fréquent au xviie siècle