Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/12

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trois filles et ses deux fils, alla vivre dans un petit logis qu’on lui donna à la porte du monastère des Champs, et son mari, abandonnant la charge qu’il remplissait à la Ferté-Milon, occupa ses dernières années à prendre soin des affaires du monastère. Elle y conduisit sans doute aussi une toute jeune fille de Marie Desmoulins, Agnès Racine, dont la présence des solitaires avait éveillé la vocation : ce fut la mère Agnès de Sainte-Thècle, tante du poète, qui fut dix ans abbesse, de 1690 à l’année 1700, où elle mourut.

En 1652, l’aïeule de Racine avait rejoint sa sœur et sa fille. En se retirant à Port-Royal, elle avait placé son petit-fils au collège de la ville de Reauvais, pieuse maison où les solitaires comptaient des amis. Ils en tenaient, à coup sûr l’enseignement en sérieuse estime, puisqu’ils admirent Racine dans leurs écoles, lorsqu’il en sortit, à un âge où ils n’avaient pas coutume de recevoir des élèves. Il alla donc continuer ses études, en 1655, à l’école des Granges, que dirigeaient l’helléniste Lancelot et Nicole, moraliste judicieux et bon latiniste. En outre, M. Ilamon et Antoine Le Maistre prirent un soin particulier du petit Racine, qu’ils voulaient pousser vers le barreau.

Pendant qu’il étudiait sous leur direction, un nouvel orage fondit sur Port-Royal : maîtres et élèves furent dispersés au mois de mars 1656. Racine demeura aux Champs, où il avait sa famille. Il chanta les malheurs des justes opprimés dans une élégie latine ad Christum. Il composa vers le même temps sepf odes sur Port-Royal, où l’inexpérience d’un talent qui se cherche n’a point étoulfé dans la diffusion et dans la banalité le juste sentiment de la nature et l’enthousiasme de la foi. Il ébaucha aussi ces belles Hymnes du Rréviaire romain, qu’il refit plus tard dans la pleine possession de son génie.

Cependant, de sa sévère retraite où tout ne lui parlait que de Dieu et des anciens, l’écolier s’émancipait déjà à jeter quelques regards curieux sur ce monde qu’avaient fui ses maîtres et les saintes femmes parmi lesquelles il avait grandi. Il écrivait à son cousin Antoine Vitart, qui faisait sa philosophie au collège d’Harcourt, de lestes épîtres où il prenait assez gaiement les souffrances du jansénisme ; il était fort éveillé sur les nouvelles du temps, et rimait sans scrupule des petits vers et des madrigaux. C’était le temps où, s’il lisait avec ravissement les tragiques grecs,