Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/14

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de s’essayer, de reconnaître ses forces, en poussant de tous les côtés, en tâtant tous les genres. Le théâtre l’attira. Il fit en 1660 une pièce d’Amasie, que les comédiens du Marais acceptèrent, puis réfusèrent. L’année suivante, il dressa le plan d’une tragédie des Amours d’Ovide, pour l’Hôtel de Bourgogne.

Cependant Port-Royal gémissait. La mère Agnès de Sainte-Thècle s’indignait qu’un disciple chéri des solitaires, et son neveu, entretînt un commerce abominable avec des comédiens, vils selon le monde, criminels selon Dieu. « Lettres sur lettres, ou, pour mieux dire, excommunications sur excommunications, » plaintes douloureuses, ou reproches irrités, venaient inquiéter, aigrir, révolter le jeune homme, que son génie impérieux et son amour propre blessé poussaient dans la voie qu’on voulait lui fermer. Il ne comprenait point ce qu’il y avait de tendresse dans les alarmes de ces pieuses femmes ignorantes du monde ; il s’égayait sur ces bonnes et simples personnes ; il raillait durement les petits travers de leurs hautes vertus ; il plaisantait cruellement sur les épreuves de Port-Royal et la dispersion du troupeau janséniste.

On résolut d’arracher Racine à la vie, à la société où il se perdait. Il sentait lui-même, étant sans fortune et faisant des dettes, qu’il fallait prendre un parti sérieux, et s’assurer quelques solides rentes. Aussi obéit-il à l’appel de son oncle, Antoine Sconin, vicaire général à Uzès, prieur des chanoines réformés de la cathédrale, et fort bien auprès de son évoque. L’Église semblait offrir à Racine ses bénéfices : il se résigna à étudier la théologie.

L’oncle Sconin se montra très paternel et très bienveillant pour son neveu ; mais la théologie l’ennuya, et les bénéfices ne vinrent pas. Cependant il ne se livra pas tout entier aux espérances trompeuses d’une fortune ecclésiastique. Saint Thomas et les Pères ne lui firent pas abandonner Virgile, ni Homère et Pindare, dont il chargeait des exemplaires de notes. Il écoutait les graves instructions de l’oncle Sconin, mais il écrivait des lettres piquantes et mêlées de vers à Vitart, à La Fontaine, à Le Vasseur ; il en recevait d’eux, toutes pleines des nouvelles profanes du monde et des lettres. Il faisait des vers tendres et galants.

Uzès avait vu arriver avec curiosité et avec plaisir un poète approuvé de M. Chapelain. Tout le monde, le chapitre, le doyen, l’évêque, voulut avoir la Nymphe de la Seine : l’oncle Sconin était fier de son neveu. Tous les poètes du lieu, tous les amoureux