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Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/16

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comme des abeilles qui rencontreroient en leur chemin diverses sortes de fleurs. L’envie, la malignité ni la cabale n’avoient de voix parmi eux. Ils adoroient les ouvrages des anciens, ne refusoient point à ceux des modernes les louanges qui leur sont dues, parloient des leurs avec modestie, et se donnoient des avis sincères lorsque quelqu’un d’entre eux tomboit dans la maladie du siècle et faisoit un livre, ce qui arrivoit rarement. »

Ces quatre amis étaient La Fontaine, Boileau, Molière (ou plutôt Chapelle) et Racine. Des courtisans, le duc de Vivonne, le chevalier de Nantouillet, se joignaient souvent à eux, et l’on se réunissait chez Boileau, rue du Vieux-Colombier, ou dans quelque cabaret fameux, au Mouton blanc, à la Pomme du Pin, à la Croix de Lorraine. On y buvait sec, on riait, on raillait : on faisait la parodie du Cid sur Chapelain décoiffé. Les Plaideurs naquirent, dit-on, au Mouton blanc.

Racine confia encore à Molière sa seconde pièce, Alexandre le Grand, dont le succès fut très grand. Corneille déclara, dit-on, à l’auteur, qu’il avait du talent pour la poésie, mais que le théâtre n’était pas son fait. Mais Saint-Évremond, un adorateur fidèle de Corneille, écrivit que la vieillesse de Corneille lui donnait moins d’alarmes depuis qu’il avait lu l’Alexandre : l’imitation qu’il y trouvait partout de la tragédie cornélienne lui faisait espérer dans le jeune auteur un digne élève, et un rival de son idole.

La troupe de Molière, excellente dans le comique, était médiocre dans le tragique. Racine ne fut point satisfait des interprètes de sa pièce, et la porta à l’Hôtel de Bourgogne. Ce procédé cavalier le brouilla avec Molière, et ils restèrent toujours en froid dans la suite.

Le même amour-propre qui ne lui laissa point souffrir que sa tragédie fût faiblement jouée, lui rendit insupportables les critiques qui s’attaquèrent à son succès. Amis de Corneille, ennemis de Boileau, rivaux médiocres, satiriques envieux de toute gloire, commencèrent à le harceler, et l’impatience qu’il en témoigna, mettant au jour sa sensibilité, leur fit voir qu’ils ne perdaient pas leur peine et les encouragea à continuer. Depuis Alexandre, toutes ses pièces furent accompagnées de préfaces amères et hautaines, où il ripostait à ses ennemis en homme profondément touché.

Sa vive susceptibilité et son humeur satirique l’engagèrent même alors dans une fâcheuse affaire. Nicole soutenait depuis longtemps