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iv
Extrait des Mémoires


Le jeune Racine prit, dès ces premières années, tant de goût pour la poëſie, que ſon plus grand plaiſîr étoit de s’aller enfoncer dans les bois de l’abbaye, avec ces deux Poëtes, qu’il ſavoit preſque par cœur. On cite de lui dans ce temps un trait ſingulier, qui juſtifie également & ſon goût pour la poëſie, & les reſſources que lui ſourniſſoit ſa mémoire qu’il avoit ſans doute bien cultivée. Ayant trouvé le Roman Grec des amours de Théagene & de Cariclée, il le dévoroit, lorſque Claude Lancelot, ſon maître, lui arracha ce livre & le jetta au feu. Un ſecond exemplaire ayant eu le même ſort, le jeune Racine en acheta un troiſième, & prit la précaution de l’apprendre entiérement par cœur ; après quoi il l’offrit à ſon maître pour le brûler comme les autres. Il s’étoit exercé dès ce temps à la poëſie Latine & Françoiſe ; mais ce fut d’abord avec peu de ſuccès, ſurtout quant à la poëſie Françoiſe. Il paroît encore que dès le même temps, ou peu après, il avoit déjà traduit le commencement du Banquet de Platon, & fait, outre pluſieurs remarques ſur Pindare & ſur Homère, des extraits Grecs de quelques Traités de ſaint Baſile.

Etant ſorti de la maiſon des Granges, il vînt à Paris faire ſa philoſophie au collège d’Harcourt. A peine l’eut-il finie, qu’il fit connoître ſes talens par l’Ode intitulée la Nymphe de la Seine, qu’il donna en 1660 au ſujet du mariage du Roi. Cette pièce fut jugée la meilleure de toutes celles que publièrent les Poëtes du tems, qu’un ſi grand ſujet avoit excités à marquer à