Aller au contenu

Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome1.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Que pourrais-je eſpérer d’une amitié paſſée,
Qu’un long éloignement n’a que trop effacée ?
À peine en ſa mémoire ai-je encor quelque rang ;
Il n’aime, il ne ſe plaît qu’à répandre du ſang.
Ne cherchez plus en luy ce prince magnanime,
Ce prince qui montroit tant d’horreur pour le crime,
Dont l’ame généreuſe avoit tant de douceur,
Qui reſpectoit ſa mère & chériſſçait ſa sœur.
La nature pour luy n’eſt plus qu’une chimère ;
Il méconnaît ſa sœur, il mépriſe ſa mère,
Et l’ingrat, en l’état où ſon orgueil l’a mis,
Nous croit des étrangers, ou bien des ennemis.

Polynice
N’imputez point ce crime à mon ame affligée ;
Dites plutoſt, ma sœur, que vous eſtes changée,
Dites que de mon rang l’injuſte uſurpateur
M’a ſu ravir encor l’amitié de ma sœur.
Je vous connais toujours & ſuis toujours le meſme.

Antigone
Eſt-ce m’aimer, cruel, autant que je vous aime,
Que d’eſtre inexorable à mes triſtes ſoupirs,
Et m’expoſer encore à tant de déplaiſirs ?

Polynice
Mais vous-meſme, ma sœur, eſt-ce aimer votre frère
Que de luy faire icy cette injuſte prière,
Et me vouloir ravir le ſceptre de la main ?
Dieux ! qu’eſt-ce qu’Étéocle a de plus inhumain ?
C’eſt trop favoriſer un tyran qui m’outrage.

Antigone
Non, non, vos intéreſts me touchent davantage.
Ne croyez pas mes pleurs perfides à ce point ;
Avec vos ennemis ils ne conſpirent point.
Cette paix que je veux me ſeroit un ſupplice,
S’il en devoit coûter le ſceptre à Polynice ;
Et l’unique faveur, mon frère, où je prétends,
C’eſt qu’il me ſoyt permis de vous voir plus longtemps.
Seulement quelques jours ſouffrez que l’on vous voie,
Et donnez-nous le temps de chercher quelque voie