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Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome1.djvu/76

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Voulut de nos parents punir ainſi l’inceſte,
Et que dans noſtre ſang il voulut mettre au jour
Tout ce qu’ont de plus noir & la haine & l’amour.
Et maintenant, Créon, que j’attends ſa venue,
Ne crois pas que pour luy ma haine diminue :
Plus il approche, & plus il me ſemble odieux,
Et ſans doute il faudra qu’elle éclate à ſes yeux.
J’aurais meſme regret qu’il me quittat l’empire :
Il faut, il faut qu’il fuie, & non qu’il ſe retire.
Je ne veux point, Créon, le haïr à moitié,
Et je crains ſon courroux moins que ſon amitié.
Je veux, pour donner cours à mon ardente haine,
Que ſa fureur au moins autoriſe la mienne ;
Et puiſqu’enfin mon cœur ne ſauroit ſe trahir,
Je veux qu’il me déteſte afin de le haïr.
Tu verras que ſa rage eſt encore la meſme,
Et que toujours ſon cœur aſpire au diadème ;
Qu’il m’abhorre toujours, & veut toujours régner ;
Et qu’on peut bien le vaincre, & non pas le gagner.

Créon
Domptez-le donc, Seigneur, s’il demeure inflexible.
Quelque fier qu’il puiſſe eſtre, il n’eſt pas invincible,
Et puiſque la raiſon ne peut rien ſur ſon cœur,
Eprouvez ce que peut un bras toujours vainqueur.
Oui, quoyque dans la paix je trouvaſſe des charmes,
Je ſerai le premier à reprendre les armes,
Et ſi je demandais qu’on en rompît le cours,
Je demande encor plus que vous régniez toujours.
Que la guerre s’enflamme & jamais ne finiſſe,
S’il faut avec la paix recevoir Polynice.
Qu’on ne nous vienne plus vanter un bien ſi doux ;
La guerre & ſes horreurs nous plaiſent avec vous.
Tout le peuple thébain vous parle par ma bouche ;
Ne le ſoumettez pas à ce prince farouche :
Si la paix ſe peut faire, il la veut comme moy ;
Surtout, ſi vous l’aimez, conſervez-luy ſon roi.
Cependant écoutez le prince votre frère,
Et s’il ſe peut, Seigneur, cachez votre colère ;
Feignez… Mais quelqu’un vient.