elle sentit, en s’en rapprochant, une sorte de plaisir mêlé d’amertume. Le temps avoit calmé sa douleur, mais la perte qu’elle avoit faite ne pouvoit cesser de lui être sensible : elle se livra avec une douce tristesse aux souvenirs que ce lieu lui rappeloit. Voisin vivoit encore, et sembloit jouir, comme autrefois, du soir paisible d’une vie sans reproche. Il étoit assis devant sa porte, veillant sur quelques-uns de ses petits-enfans qui jouoient autour de lui, et tour-à-tour son sourire ou ses paroles excitoient leur émulation. Il reconnut à l’instant Emilie, et fut bien aise de la revoir. Elle apprit avec joie, que depuis son départ, la famille n’avoit point éprouvé de pertes.
— Oui, mademoiselle, dit le vieillard, nous vivons gaîment tous ensemble, grâce à Dieu. Je ne crois pas qu’il y ait en Languedoc une famille plus heureuse que la nôtre.
Emilie n’osa prendre sur elle d’entrer dans la chambre où Saint-Aubert étoit mort ; et après une demi-heure d’entretien avec Voisin et sa famille, elle sortit de la chaumière.
Pendant les premiers jours qu’elle passa, au château de Blangy, elle vit avec chagrin la mélancolie profonde, quoique muette,