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Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/11

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succès par les gens du dehors ; aussi se gardait-on bien de ravir à ces lustigs l’innocente satisfaction de dévaliser les garde-manger ; seulement on les garnissait en conséquence. — Hélas ! ces traditions sont déjà loin de nous, et le cortége de l’Éguinané va bientôt sans doute les rejoindre. Nous l’avons cependant vu circuler le dernier jour de décembre 1853 : l’idiot était encore à son poste, mais ses rubans semblaient dater d’un siècle ; l’allure triomphante qui le distinguait jadis avait disparu comme les galantes couleurs qui ornaient son chapeau et sa canne, toute sa gloire et toute sa richesse ; le tambour de la garde nationale, unique vestige d’une institution disparue, et déjà oubliée dans le Finistère depuis le 2 décembre, battait, comme jadis et avec la même monotonie, sa marche accoutumée ; à sa suite marquaient le pas, toujours enchaînés par leur devoir, — toute dignité a ses épines, — le commissaire et les sergents ; puis venaient, sous une bise acérée, une douzaine d’enfants de l’hôpital, qui, les mains dans les poches jusqu’aux coudes, la tête dans les épaules jusqu’aux oreilles, la face violacée, le nez écarlate, laissaient avec peine échapper, au signal de l’idiot, le cri en usage, haché par deux mâchoires que le froid changeait en castagnettes. Enfin cette décadence avait atteint même les chevaux, qui semblaient plus étiques et plus consternés que jamais. — Du nombreux personnel des autres années il restait donc tout juste, comme on le voit, les seuls êtres que la chose n’avait jamais réjouis.

Il faut dire pourtant que la part des pauvres n’a pas diminué : bien au contraire. D’abord la collation du soir a été supprimée ; mais cette sage mesure a singulièrement re-