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Page:Radiguet - Souvenirs de l’Amérique espagnole, 1856.djvu/11

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vace et jusqu’à présent indestructible. On rencontre peu de villes où des éléments aussi hétérogènes, ou des antithèses aussi violentes aient un contact plus immédiat. Le peuple y est tout à la fois indien, espagnol du moyen âge, péruvien de l’indépendance. Dans les mœurs, l’ascétisme coudoie le libertinage, et les pratiques les plus superstitieuses de la religion se mêlent à la dépravation célèbre du temps des Incas. Partout la saya de satin des courtisanes frôle la robe de bure des béates, la soutane du prêtre, le froc du moine ; les cérémonies solennelles du culte se confondent presque avec d’autres manifestations d’une nature moins sacrée. Dans le caractère national, la morgue et la fierté aristocratique de la vieille Espagne se font jour à travers les principes libéraux et révolutionnaires des temps nouveaux ; la résignation passive et les élans soudains de la race rouge se combinent avec les allures couardes et fanfaronnes de la race noire. Quant à l’intelligence, si l’on trouve chez ce peuple une certaine lourdeur provenant du yankeesme, on y est bien plus souvent ébloui par une verve charmante, une repartie à toute épreuve, une raillerie implacable qui jaillissent des conversations et des écrits périodiques, et ont fait surnommer les gens de Lima les Parisiens de l’Amérique du Sud. — Deux costumes, l’un dont l’origine remonte aux Maures, l’autre emprunté aux modes françaises du meilleur goût, se partagent, portés par les femmes, les différentes heures de la journée ; et l’on me montrait encore, pendait mon séjour à Lima, des Indiennes qui gardent cousue à leur jupon une bande d’étoffe sombre en signe de deuil de leur dernier Inca. Enfin, si l’on jette les yeux sur la ville, on voit