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Page:Radiguet - Souvenirs de l’Amérique espagnole, 1856.djvu/150

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service des palefreniers… Ce fut sans doute à la suite d’une fastidieuse promenade nocturne de ce genre que le vice-roi formula son dépit sous cette brève et injurieuse épithète : Perra[1] !

Mais l’enchanteresse eût converti le fer en or ; en l’approchant, l’injure se modifia d’un diminutif, et fut prononcée avec une tendre euphonie qui lui enleva toute son aigreur ; il n’en resta plus dès lors qu’une de ces caressantes niaiseries métaphoriques de l’amoureux tête-à-tête. Fréquemment employée par Amat, elle transpira de l’alcôve dans l’antichambre qui la mit en circulation, la ville l’adopta, et c’est sous le sobriquet de Perricholi que Mariquita conserve encore aujourd’hui sa popularité. — Les fantaisies toutes-puissantes de la favorite eurent cependant aussi de nobles et généreux mobiles : elle soulagea un grand nombre d’infortunés, guida la clémence de son amant vers des condamnés dignes d’intérêt, et obtint même la grâce d’un patient au moment où, sur le lieu de l’exécution, il allait subir sa peine. Puis, le démon de l’orgueil lui remettant au cœur cet insatiable besoin d’éclat et d’ostentation communs à ses pareilles, elle se signalait par de nouvelles excentricités dont se rendait complice celui qu’elle enveloppait d’un réseau de séductions. — Aux approches d’une solennité où le vice-roi, les grands de l’État, et toute la noblesse espagnole devaient se produire dans un cortége et y étaler les splendeurs de leur luxe, une triomphante idée traversa le cerveau de la Perricholi. L’occasion s’offrait encore de faire saigner l’amour-propre chatouilleux des conquérants de son pays en prenant le pas sur eux durant là cérémonie prochaine. Elle mit donc incontinent en pratique auprès du vice-roi ses cajoleries les plus irrésistibles pour obtenir la fa-

  1. Perra, chienne ; perrita, petite chienne, d’où perri-choli, petite chienne indienne.