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Page:Radiguet - Souvenirs de l’Amérique espagnole, 1856.djvu/18

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france quotidienne. La mer cessa de battre en brèche les flancs du navire, les jours redevinrent tièdes et limpides, les nuits reprirent leur parure d’étoiles. Un soir, dans les profondeurs de l’horizon, nous vîmes apparaître la silhouette incertaine d’une côte ; bientôt un phare montra dans la brume sa lueur sanglante, et, quand vint le jour, une vigie signala Valparaiso sous un rayon de soleil.

Il faut le dire, nous éprouvâmes ici l’une de ces déceptions qui ne font guère défaut durant un long voyage. Dans notre mémoire, plus fidèle aux prospérités qu’aux tristesses, les parages maudits du cap Horn tenaient peu de place ; en revanche, notre pensée s’était reportée vers le Brésil, et, sous l’impression de ces éclatants souvenirs, nous nous mîmes à demander compte à Valparaiso (Valle Paraiso[1]) du fallacieux prestige de son nom. Nous n’examinerons pas si les premiers navigateurs, après avoir échappé aux périls des océans, surent mieux que nous apprécier ce point abrupt de la côte d’Amérique, ou s’ils voulurent attacher à cette terre un témoignage impérissable des vertus hospitalières en honneur chez les Indiens ; nous ne nous arrêterons pas davantage, à l’opinion, sans doute erronée, qui, s’appuyant sur une similitude de consonnances, fait dériver Valparaiso de valde paraiso (vain paradis) : il vaut mieux esquisser fidèlement le tableau que nous avions sous les yeux, afin de mettre sur leurs gardes les voyageurs qui, comme nous, ne soupçonneraient pas jusqu’où peut aller, dans certains noms, l’ironie de l’antiphrase.

Quand nous fûmes à l’entrée de la baie demi-circulaire de Valparaiso, notre regard interrogea la côte, puis les hauteurs, cherchant avec avidité une végétation absente. — Au sud, des falaises sortaient perpendiculairement de la mer ; à l’est,

  1. Vallée du Paradis.