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Page:Radiguet - Souvenirs de l’Amérique espagnole, 1856.djvu/22

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frais et souriant, dont la noire chevelure, ornée de fleurs, descend en flots abondants sur une épaule d’un galbe parfait, puis au second plan, dans l’ombre, une vieille femme ou plutôt une sorcière, au teint hâve, au profil grimaçant ; mâchant sans relâche quelque bout de cigare éteint. Une œillade de la jeune fille, un salut de la vieille, accompagnés de cette formule hospitalière : La casa à la disposition de usted, attirent le matelot dans un antre plus dangereux que celui des sirènes ; les rôles d’équipages constatent ce fait en ajoutant aux noms des victimes pour tout commentaire ces quelques mots : Déserté à Valparaiso.

Parmi les cerros qui s’élèvent dans le Puerto, deux méritent surtout de nous arrêter. Tous deux sont couverts de fleurs et d’habitations silencieuses. Une société à part vit sur le premier, qu’on homme el Cerro alegre ; le second, nécropole de Valparaiso, s’appelle le Panthéon. À peine a-t-on fait dix pas sur le Cerro alegre, qu’on reconnaît aux maisons coquettement peintes, aux parterres embaumés, aux sentiers bordés de verdure, cet amour de l’ordre et du confortable qui distingue partout les enfants d’Albion. Ici des habitations assez basses pour braver les coups de vent, assez solides pour résister aux tremblements de terre, recèlent un certain nombre de familles qui ont en quelque sorte transporté la patrie sur le sol de l’Amérique. Ces familles trouvent en elles-mêmes assez de ressources pour former des réunions où les étrangers sont rarement admis. Les joies et les fêtes de Valparaiso retentissent à peine jusqu’au sein de cette paisible colonie ; des intérêts commerciaux nombreux et puissants la rattachent seuls à la ville qui bruit au pied de sa montagne.

Le Panthéon de Valparaiso n’est point, comme on pourrait le croire, un lieu de sépulture exclusivement réservé aux citoyens illustres : c’est tout simplement un cimetière où la ville dépose ses morts les plus vulgaires, en faisant payer pour les