Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/123

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les ; ils épouseraient Fanny Price et Elinor Dashwood au second chapitre et il n’y aurait plus d’étude de caractère.

Mr. Knightley[1] est tout autre. À trente-huit ans, il est resté vieux garçon ; avec sa fortune et sa belle mine, il a fallu qu’il soit bien difficile pour ne pas trouver une femme. Son âge en fait un amoureux au goût de la fin du xixe siècle : non pas un de ces blancs-becs qui séduisaient nos grand’mères par leur grâce à la fois timide et osée, leurs joues roses et leurs cheveux bouclés, mais un homme arrivé, posé, sérieux, aux tempes un peu dégarnies, qui connaît la vie, susceptible de donner à la femme pratique et névrosée de notre époque la sensation d’une autorité mesurée et tendre, jointe à une sécurité dépourvue d’aléas. Il a tout ce qu’il faut pour servir de mari un peu paternel à une jeune femme étourdie de vingt ans : une figure agréable, une belle prestance, les manières franches, décidées, autoritaires, qui conviennent à sa position sociale. Il semble quelquefois qu’il aime un peu trop à moraliser, et cela pourra devenir fastidieux pour sa jeune femme lorsqu’ils seront continuellement ensemble. C’est un travers bien naturel chez un célibataire de quarante ans, le plus riche et le plus intelligent propriétaire de la contrée, habitué à être consulté avec déférence par tous ses voisins.

Darcy, Edmund Bertram, Edward Ferrars, Henry Tilney, Mr. Knightley sont tous des jeunes gens sérieux. Mais il n’y a pas que des personnages vertueux dans l’œuvre de Jane Austen. Elle sait peindre aussi les viveurs, oh ! sans insister sur leurs débauches, sans nous introduire dans leurs garçonnières. Elle nous montre seulement leurs roueries et leurs manœuvres pour conquérir passagèrement le cœur des jeunes filles de caractère faible et de morale chancelante. Elle n’en fait pas des monstres dépourvues de tout sentiment, des phénomènes

  1. Emma.