Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/128

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quelquefois d’un enfant qu’il est l’image même de la santé. Hé bien ! Emma me donne toujours l’impression d’une peinture parfaite de la santé adolescente. Elle est la séduction même. N’est-ce pas Mr. Knightley ? »

Mr. Knightley ne peut qu’approuver l’enthousiasme de la gouvernante d’Emma, et nous aussi. Elle est irrésistible. On a beau voir ses défauts, on reste charmé. Fanny était la petite parente pauvre dont les qualités se développent et s’affirment par les incessantes blessures de la sensibilité dans un milieu indifférent ou insolemment protecteur. Emma est la jeune fille en qui père, gouvernante, parents, amis, ne voient que perfection, et dont les bonnes dispositions naturelles ne peuvent être gâtées par une adulation ridicule. Habituée à être obéie comme une reine, pleine de confiance en elle-même, elle se croit infaillible, elle va devenir insupportable, mais son cœur la sauve. Le regret d’avoir entraîné sa protégée Harriet dans de pénibles mésaventures d’amour, la peine d’avoir blessé une bonne vieille fille, le remords d’avoir étourdiment rendu plus pénible à Jane Fairfax le secret de ses fiançailles avec Frank Churchill, suffisent pour la ramener au bon sens. Ses défauts ne lui enlèvent rien de notre sympathie. Sa manie de marier ses amies est réjouissante sans être grotesque, c’est pour elle un jeu de jeune fille qui se croit déjà une personne importante, et il ne se mêle aucun calcul à ses petites manœuvres. Son humeur satirique n’est pas de la méchanceté mais le besoin juvénile de parler et de rire. Enfin, nous lui savons gré de ne pas être parfaite, et nous approuvons Mr. Knightley de lui donner la préférence : « Elle a le caractère franc et ouvert qu’un homme désire rencontrer chez sa femme ».

Anne Elliot [1] nous séduit d’une autre manière. Sa mélancolie de Cendrillon, qu’on a obligée à repousser le prince charmant et qui le croit disparu à jamais, empreint

  1. Persuasion.