Dans l’étude des personnages secondaires, la distinction que nous avons faite pour les héros et les héroïnes devient inutile. Les caractères masculins sont aussi fermement tracés que les caractères féminins ; ils sont aussi réels, aussi vivants, aussi amusants.
Par « son mélange de vivacité, d’humeur sarcastique, de réserve et de caprice », Mr. Bennet [1] mérite certainement d’être appelé un original. Mais ce n’est pas l’original prétentieux qui veut étonner à tout prix, ni l’être exceptionnel incapable de se plier à nos conventions. C’est un bon bourgeois, instruit et intelligent, ayant fait la bêtise d’épouser une femme ignorante et stupide, et qui cherche une consolation dans ses livres, se réfugie dans le silence de sa bibliothèque, s’arme de flegme et d’indifférence. Il ricane de tout, mais il semble que ce soit pour ne pas pleurer sur son bonheur brisé par la sottise de sa jeunesse ; et sa déception se soulage en d’amusants et piquants sarcasmes. Il est extrêmement moderne ; c’est le type même du sceptique, personnage indispensable à nos auteurs contemporains pour critiquer la société, et qui a fait le succès de plus d’un livre et de plus d’une pièce. Il ne serait pas déplacé dans une comédie de Bernard Shaw ou de Maurice Donnay, dans un roman d’Anatole France ou de Galsworthy. Il adore le paradoxe et une belle immoralité le ravit : « J’aime beaucoup mes trois gendres, mais Wickham est peut-être mon favori », dit-il, parlant du mauvais sujet, menteur, paresseux, couvert de dettes, qui a enlevé sa fille. Il se réjouit avec plus de volupté qu’aucune des amies de Mrs. Bennet des sottises qu’elle fait et des bêtises qu’elle dit. « Ce n’est pas là le genre de satisfaction qu’un homme réclame généralement de sa femme », remarque ironiquement Jane Austen, « mais lorsque les autres distractions manquent, le vrai philosophe doit profiter
- ↑ Orgueil et Prévention.