Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/140

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dont les revenus seraient trop inférieurs aux siens. Mais il manque sans scrupules à la promesse faite à son père mourant de venir en aide à ses demi-sœurs ; il excite sa belle-mère contre son beau-frère Edward Ferrars, qui, pour rester fidèle à sa parole, renonce à un brillant mariage ; il insinue des conseils un peu douteux à sa sœur Elinor pour conquérir un mari riche, ce qui le mettrait à l’abri des futures demandes de secours.

C’est son argent qui lui vaut la notoriété dont il jouit, aussi il y tient. Il regrette amèrement chaque louis qui sort de sa poche, même si c’est pour un achat avantageux. Quand il acquiert à bas prix une nouvelle propriété, il se lamente : « Enfin, il faut bien se payer quelques fantaisies ; mais cela m’a coûté une somme énorme ». — « Plus que sa valeur intrinsèque ? » interroge sa sœur. — « Hein ! Ah non, par exemple ! Je pourrais le revendre demain plus cher que je ne l’ai acheté », s’exclame-t-il, stupéfait qu’on ait pu le croire capable de faire une dépense inutile.

Mais, comme avarice, Mrs. Norris [1] l’emporte encore sur lui. C’est une véritable création de génie, une avare assez fine pour donner à son vice toutes les apparences du désintéressement. « Tant qu’il ne s’agit que de se déranger, de discuter, d’organiser, Mrs. Norris est très obligeante et personne ne sait mieux dicter des libéralités aux autres ; mais son amour de l’argent est égal à son amour de diriger, et elle sait aussi bien épargner le sien que dépenser celui de ses amis ». Elle a l’art de profiter de chaque service qu’elle rend pour rapporter un léger butin dans sa petite maison : les restes du buffet des bals donnés par son beau-frère, le rideau du théâtre quand la comédie échoue par le retour de Sir Thomas Bertram, des œufs et des fruits de sa visite à la future belle-mère de sa nièce Maria ; et elle

  1. Mansfield Park