Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/146

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s nous-mêmes.

Aucun ne sort violemment de l’ensemble, comme une curiosité qu’un Barnum pousse sur l’estrade à la face du public ; chacun d’eux se tient à sa juste place parmi ses compagnons, il n’attire que la part d’attention à laquelle il a droit, il ne retient le regard que par l’exactitude de son dessin et non par un écriteau aux couleurs criardes collé sur sa poitrine.

C’est à peine si, pour animer l’action, elle fait saillir un peu plus que dans la vie ordinaire les sentiments et les particularités de ses personnages. Son premier souci est la réalité ; et une lettre de conseils à une débutante, qui lui a soumis un essai de roman, nous montre quelle importance elle donne aux plus petits détails : « Mrs. Forester ne prend assez soin de la santé de Suzan » écrit-elle, « Suzan ne doit pas se promener dehors après une forte pluie et faire une longue course dans la boue. Une mère attentionnée ne souffrirait pas cela ».

Naturellement, petits bourgeois, placés dans des circonstances qui n’ont rien de pathétique, les personnages de Jane Austen prennent la vie avec assez de calme ; ils sont respectueux des traditions, sans fanatisme d’aucune sorte, et ils savent se réjouir d’une bonne tasse de thé et d’innocents bavardages. Leurs qualités et leurs défauts ne sont ni purement anglais ni caractéristiques de leur époque. Ce sont les défauts et les qualités de la classe moyenne de toutes les races et de tous les temps. Ils n’ont point vieilli ; ils sont aussi proches de nous qu’ils l’étaient du lecteur d’il y a cent ans. Seuls, quelques petits détails sans importance nous étonnent, et nous invitent à nous reporter par l’imagination au commencement du xixe siècle. Tous les raffinements et toutes les élégances de la vie urbaine n’ont pas encore pénétré dans les campagnes, même parmi la meilleure société. Les manières y sont encore un peu raides et brutales. Les hommes manquent quelquefois de délicatesse ; les jeunes filles sont plus choquées de les voir voyager un dimanche que