scrupule de prédire que leurs mariages seraient au moins aussi avantageux. Mais il n’y a certainement pas dans le monde autant d’hommes riches que de jolies femmes qui méritent de les épouser. Miss Ward, après une demi-douzaine d’années d’attente, se vit réduite à accepter le Rev. Mr. Norris, un ami de son beau-frère, peu fortuné, et Miss Francis trouva encore pis. L’alliance que fit Miss Ward en réalité n’était pas à dédaigner ; Sir Thomas étant heureusement capable de donner à son ami un revenu dans la cure de Mansfield, Mr. et Mrs. Norris commencèrent leur carrière de félicité conjugale avec bien près de vingt-cinq mille francs par an. Mais Miss Francis se maria, comme on dit vulgairement, pour faire enrager sa famille ; et, en fixant son choix sur un lieutenant de marine sans éducation, sans fortune, sans relations, elle y réussit complètement. Il lui aurait été difficile de faire un choix plus maladroit. Sir Thomas jouissait d’une certaine influence ; par principe aussi bien que par orgueil, par une tendance générale à bien agir et le désir de voir dans des situations respectables toutes les personnes ayant quelques liens de parenté avec lui, il aurait été heureux de mettre son influence au service de la sœur de Lady Bertram ; mais cela ne pouvait avoir aucune utilité dans la profession de son mari. Et avant qu’il eut trouvé un moyen de les aider autrement, une rupture complète survint. Ce fut le résultat naturel de la conduite des trois sœurs, et que produit presque toujours un imprudent mariage. Afin de s’épargner des remontrances inutiles, Mrs. Price attendit d’être mariée pour avertir sa famille. Lady Bertram, d’un tempérament très tranquille et d’un naturel extraordinairement facile et indolent, se serait contentée de laisser simplement sa sœur de côté et de n’y plus penser. Mais Mrs. Norris avait un besoin d’agir qu’elle dut satisfaire par une longue et violente lettre exposant à sa cadette la folie de sa conduite et la menaçant des pires conséquences. Mrs. Price fut à son tour froissée et irritée, l’amertume de sa réponse s’étendit aux deux sœurs, et elle fit des réflexions si peu respectueuses sur l’orgueil de Sir Thomas que Mrs. Norris ne put les garder pour elle. Cela mit fin pour une longue période aux relations entre Mrs. Price et sa famille.
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