Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/167

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sur moi. Permettez-moi, mon cher cousin, de vous conseiller d’oublier le plus rapidement possible, de rejeter loin de vous, à jamais, votre fille indigne, et de la laisser récolter les fruits de sa hideuse conduite » [1].

Mais l’humour de Jane Austen revêt une autre forme à la fois plus condensée et plus subtile, dans les courtes notations des pensées secrètes et même inconscientes de ses personnages. Il est difficile de donner des exemples de cette partie la plus savoureuse de son talent. L’ironie de l’expression est liée si intimement à l’ensemble de l’action, qu’en l’isolant on lui enlève tout son piquant. Citons seulement quelques phrases au hasard.

Mrs. Thorpe vient d’infliger à Mrs. Allen, impatiente de parler à son tour et qui n’a pas d’enfants, le récit détaillé des faits et gestes de ses fils et de ses filles. « Mrs. Allen n’avait aucune information analogue à donner, aucun triomphe de ce genre à imposer à l’oreille distraite et incrédule de son amie ; elle devait rester assise et affecter un intérêt pour ces effusions maternelles ; mais ses yeux inquisiteurs découvrirent rapidement que la dentelle sur la pelisse de Mrs. Thorpe n’était pas de moitié aussi jolie que la sienne, et cela lui fut une consolation [2] ».

Mr. Woodhouse craint que Mr. Knightley ait pris froid, il ne sait pas encore que celui-ci veut épouser sa fille. Jane Austen remarque : « Eut-il pu voir le cœur, il se serait peu soucié des poumons [3] ».

Voici la peinture des sentiments qui agitent l’apathique Mrs. Bertram, au retour à l’improviste de son mari, dont elle a supporté l’absence très philosophiquement : « Elle fut presque émotionnée pendant quelques minutes, et sa surexcitation se manifesta à un tel point qu’elle

  1. Orgueil et Préventions.
  2. L’abbaye de Northanger.
  3. Emma.