Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/174

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réellement de la vie. Nous ne verrons pas toujours bien clair dans notre enquête ; car Jane Austen est la plus impersonnelle des auteurs. Mais, si impersonnel que soit un écrivain, fut-il Flaubert lui-même, il lui est impossible, en écrivant sur la vie contemporaine, de ne pas laisser échapper quelques indices de sympathie ou d’aversion, et, inconsciemment, il se trahit toujours un peu.

On s’est souvent demandé si Jane Austen n’avait pas tracé son propre portrait dans l’une de ses héroïnes ; les uns veulent la reconnaître dans Elisabeth Bennet, les autres dans Emma Woodhouse, et même dans Marianne Dashwood. Cette dernière hypothèse semble peu fondée ; Jane Austen n’a jamais été aussi écervelée ; elle précise avec trop de netteté le ridicule de la conduite de Marianne pour être tombée dans les mêmes travers. Seule l’opposition de la sagesse d’Elinor, qui serait Cassandra Austen, et de l’étourderie de Marianne, a pu faire naître cette suggestion, en se reportant à l’admiration affectueuse de Jane pour le bon sens de sa sœur aînée.

Elle a peut-être donné quelques traits de son caractère à Elisabeth Bennet et à Emma Woodhouse ; mais les membres de sa famille qui l’ont connue n’ont jamais noté une ressemblance complète. On peut simplement affirmer d’après ses lettres, qu’Emma était l’une de ses favorites et Elisabeth sa préférée. Cela nous servira du moins à nous montrer l’idée que se fait Jane Austen d’une femme accomplie et du système d’éducation qui, selon elle, convient aux jeunes filles.

Elisabeth et Emma sont franches, loyales et spirituelles ; elles ne bornent pas leur capacités « à peindre des plateaux, à broder des écrans, à tricoter des bourses » ; elles ont une certaine instruction, du bon sens, du tact, mais aucun talent extraordinaire « ni pour le chant, ni pour la musique, le dessin ou les langues étrangères ». Ce ne sont pas des érudites, elles se sont instruites un peu au hasard, en lisant ce qui les intéresse.