Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/85

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En même temps qu’elle veille à l’enchaînement rigoureux des faits, Jane Austen a toujours soin d’établir des contrastes entre ses caractères. L’affection tranquille de Jane et de Bingley, tous deux doux, bienveillants, sans volonté, fait ressortir le conflit des tempéraments décidés d’Elisabeth et de Darcy ; la finesse sceptique de Mr. Bennet rend plus sensible l’expansive vulgarité de sa femme ; et la conduite légère de Lydia et de Catherine donne du relief à la ferme honnêteté de leurs aînées. Le procédé est un peu banal, mais il passe inaperçu tant elle met de subtilité dans son emploi. Derrière les principaux personnages, toute une petite troupe de caractères secondaires vient former un fond solide, vivant, amusant, coloré. Le prétentieux Révérend Mr. Collins, Sir William Lucas, le bourgeois enrichi qui rêve des splendeurs de la cour, sa fille Charlotte, si prosaïquement philosophe, Mr. et Mrs. Bennet, les jeunes sœurs étourdies, flirteuses ou pédantes, encadrent Darcy et Elisabeth, Jane et Bingley, et précisent leur milieu. Nous allons retrouver dans tous les romans de Jane Austen, la même logique dans la marche de l’action, la même mise en lumière par d’habiles contrastes, la même vérité et la même minutie de l’observation, la même simplicité de moyens.



Raison et Sensibilité


Raison et Sensibilité était primitivement écrit sous forme de lettres et imité des romans épistolaires de Richardson. Malgré sa refonte, il garde de son plan primitif une certaine gaucherie, et, quoique écrit après Orgueil et Préventions, semble l’œuvre d’un esprit moins mûr ; le plan est moins bien équilibré, et l’on sent un peu trop l’artifice dans le contraste des deux caractères principaux.

Elinor Dashwood, clairvoyante et réfléchie, est malgré sa jeunesse un conseiller précieux pour sa mère,