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Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/92

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">L’Abbaye de Northanger

L’Abbaye de Northanger a été publiée sous sa forme primitive, sans jamais avoir été retouchée comme l’ont été Orgueil et Préventions, Raison et Sensibilité. C’est par excellence une œuvre de jeunesse et on le sent à la lecture. La gaieté y pétille, et l’action, un peu incohérente, y est menée avec brio. Pour en goûter toute la saveur, il faut se rappeler les romans qui sévissaient alors, pleins d’intrigues compliquées et de mystères terrifiants, dans le genre des feuilletons de beaucoup de nos journaux. Miss Austen y raille avec verve l’engouement des jeunes filles pour ces grotesques productions, et nous montre avec humour comment cette littérature frelatée leur monte à la tête.

Rien ne prédispose Catherine Morland à devenir une héroïne de roman. Un père pasteur, de fortune modeste, une mère joyeuse et bien portante, neuf frères et sœurs éclatants de santé, la tranquillité de son petit village, son éducation, son propre caractère simple et bon enfant, tout cela s’y oppose plutôt. Mais de quinze à dix-sept ans, elle se bourre la cervelle d’histoires mélodramatiques ; et, au commencement de sa dix-huitième année, elle est toute disposée à jouer un rôle sentimental et héroïque. Malheureusement, « il n’y a aucun lord dans le voisinage, pas même un baronet, pas de jeune homme d’origine mystérieuse ; aucune famille n’y a recueilli et élevé un bébé abandonné à leur porte, et son père n’a pas de pensionnaire ». Catherine Morland risquerait fort de ne connaître d’autres aventures que celles qui échoient ordinairement à la fille d’un pasteur campagnard, c’est-à-dire un honnête mariage avec un modeste collègue de son père, si des amis fort riches et sans enfants, Mr et Mrs. Allan, ne l’emmenaient avec eux à Bath, la grande ville d’eau à la mode.