Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/497

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population a une tendance irrésistible à se presser à la limite des subsistances, comment se fait-il que les funestes conséquences de cette loi naturelle n’aient pas été ressenties partout et toujours ? Eh bien, non : l’expérience historique et l’analyse intérieure des groupes sociaux révèlent une loi toute différente. C’est que, dans chaque espèce de tous les règnes végétal, animal ou humain, les dangers qui menacent une espèce, provoquent un effort correspondant pour la préservation de la vie : l’espèce en devient donc plus fertile ou plus féconde, et ainsi, puisque le danger qui agit le plus en cet ordre de faits, est le danger provenant du manque d’aliments, il en résulte que l’état dépléthorique est favorable à l’accroissement, et que l’état pléthorique est funeste au contraire à la fécondité. D’où cette conséquence, que dans toute société les classes aisées et bien nourries vont en s’éteignant — c’est-à-dire qu’elles ne se renouvellent pas par elles-mêmes — et que les classes pauvres sont au contraire une pépinière féconde de vies humaines ; de là encore cette conséquence, que le mouvement général de toute société est commandé par l’importance proportionnelle de ces deux mouvements intérieurs en sens contraire[1].

Doubleday apporte un assez grand nombre d’exemples : les uns tirés de l’ensemble d’une population, tels que lui en fournissent la prolificité de L’Irlande misérable, la stérilité de la Grèce ancienne sous la paix romaine, et l’essor remarquablement rapide de toutes les populations après les famines et les grandes épidémies[2] ; les autres, tirés de l’étude particulière d’un groupe social déterminé comme les pairs et baronnets d’Angleterre, les bourgeois de Berne

  1. Doubleday, op. cit., pp. 5-6 ; item, pp. 2, 243 et s.
  2. Ibid., pp. 26, 28, 210 et s., etc. — Hume, dans ses Essais (Population des nations anciennes, éd. Guillaumin, pp. 159 et s.), était embarrassé par ce phénomène de la de population de la Grèce. — Sur le redoublement de la fécondité après les grandes calamités, voyez Levasseur, Population française, 1. IV, ch. i, t. III, pp. 17-18 (M. Levasseur reconnaît l’existence de cette loi démographique) ; — Item, Quetelet, Physique sociale, 1re éd., t. I, p. 95.