Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/754

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en effet, les trois titres entre lesquels se répartit le produit total d’une nation. Or, le perfectionnement de l’industrie diminue tout naturellement le loyer des capitaux, par la concurrence qu’ils se font entre eux ; l’augmentation de la population diminue également les salaires ; seule la rente augmente quand augmente la population. La spéculation s’ajoute à ces causes perturbatrices ; alors le prix des terres monte indéfiniment, parce que les spéculateurses comptent trop rapidement l’accroissement de la rente et la plus-value des fonds. Mais leur revenu se refuse momentanément à suivre ces hausses trop rapides de leurs prix de vente, et la crise éclate, en faisant brusquement monter le loyer de l’argent et brusquement tomber les salaires. Telle est la théorie des crises, théorie que les socialistes eux-mêmes ont abandonnée[1].

Quel est le remède à ces maux ?

C’est la suppression de la propriété foncière ; et cette mesure ne serait pas seulement utile, elle serait juste aussi, parce qu’il n’y a que le travail qui puisse donner un titre au propriétaire. Au moins faudrait-il attribuer la rente à l’État, au moyen de la single-tax, impôt qui suffirait à tous les besoins publics aux lieu et place de tous les autres impôts.

On voit que George n’a rien pris à la critique marxiste, qu’il ignore ou qu’il dédaigne ; c’est à la théorie seulement de Ricardo que la sienne peut se rattacher[2].

Henri George, au surplus, reconnaît fort bien la légitimité de la propriété du capital, et il tient pour juste le revenu sans travail qui en découle sous le nom d’intérêt[3].

  1. Voyez l’article Bodenbesitzreform dans le Handbuch des Socialismus de Stegmann et Hugo.
  2. Albert Métin, le Socialisme en Angleterre, 1891, p. 169. — M. Villey dit cependant de George : « C’est un penseur très supérieur, à mon sens, à Karl Marx, et c’est un écrivain aussi facile à lire que l’autre est rebutant » (Socialisme contemporain, p. 98). Tout le monde est d’accord avec M. Villey sur l’ennui qui distille de Karl Marx : on ne l’est pas sur le charme de George.
  3. Progress and poverty, 1. V, ch. i et ii ; 1. VIII, ch. vi.