Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/755

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’en veut qu’à la propriété foncière et à la rente foncière : ce sont elles et elles seules qu’il rend responsables du paupérisme, des crises et de la loi d’airain[1].

Il faut répondre : 1° théoriquement, que la rente, si elle existe, ne condamne pas la propriété[2] ; 2° pratiquement, qu’elle n’existe presque jamais[3]. Comme le dit M. Paul Leroy-Beaulieu, « si l’on déduisait de la valeur de la terre tout ce qui représente l’intérêt, au taux normal des capitaux qui y ont été incorporés, il ne resterait en général aucun résidu[4] » ; et M. Gide lui-même, si partisan qu’il soit de la nationalisation du sol, a été obligé d’en convenir[5].

Il est vrai que les exemples, des plus-values brusques et considérables se rencontrent beaucoup mieux dans les pays neufs, où les villes se constituent rapidement, et dans ceux où la terre, naturellement riche et non encore épuisée, peut donner des récoltes abondantes avec un moindre travail. C’était le cas qu’Henri George avait sous les yeux aux États-Unis.

Il est vrai encore que la propriété et les inégalités qu’elle consacre choquent bien davantage les sentiments, lorsque cette propriété est immobilisée et lorsque ces inégalités sont éternisées et accrues par des régimes successoraux de majorats et de substitutions. Tel est le cas pour l’Angleterre, Sismondi s’y est longtemps arrêté, et il y a là une excuse circonstantielle en faveur de Stuart Mill[6]. Ici toutefois le remède n’est pas dans la spoliation :

  1. Op. cit., 1. III, ch. i et iii.
  2. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit., p. 502.
  3. Ibid., p. 505.
  4. Paul Leroy-Beaulieu, Collectivisme, 1. I, ch. iv, 3e édit., p. 38.
  5. Gide, Journal des Économistes, mai 1883, p. 184, article cité plus haut.
  6. Il faut lire dans les Études sociales de Sismondi (t. I, pp. 203-239) l’expulsion des cultivateurs en Écosse. Dans le comté de Sutherland vivaient 45.000 paysans, dont les ancêtres avaient possédé le sol en communauté au temps des clans. Puis le chef du clan avait confisqué cette propriété à son profit exclusif, en concédant d’abord la terre à ses vassaux, ensuite en la leur louant à bail. Finalement la marquise de Stafford, pour augmenter ses revenus, décida de consacrer le comté de Sutherland à l’élevage du bétail. Elle fit donc procéder au nettoiement du domaine, « the clearing of the estate ».