Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/307

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Trop d’auteurs catholiques sont actuellement d’une injuste cruauté pour la mémoire de Malthus. Il y a chez lui, en effet, deux choses à distinguer : la théorie scientifique d’abord, et il nous semble difficile que l’on en conteste l’exactitude, sauf les discussions que peut susciter la durée apparemment un peu trop courte du doublement par vingt-cinq ans ; puis il y a la partie morale ou pratique, c’est-à-dire les conseils de moral restraint, et celle-ci seule peut prêter à de dangereuses interprétations. Mais qu’est-ce que Malthus demande ? Est-ce le célibat perpétuel d’une portion de la population et le célibat prolongé d’une autre portion ? Est-ce la continence dans le mariage ? Sont-ce enfin les fraudes mêmes dans l’acte conjugal ? Évidemment Malthus aurait dû être plus explicite sur ce dernier point ; cependant on ne trouve rien en lui qui permette de le condamner sur cet article[1].

  1. Le P. Antoine, S. J., qui, imitant sans défiance le P. Liberatore (Principes d’économie politique, 1889, Ire partie, ch. v, tr. fr., 1894, pp. 110, et s.), a critiqué la théorie scientifique de Malthus sans la raisonner d’après l’histoire et surtout d’après l’histoire de la géographie et des découvertes scientifiques, a lui-même cependant écrit ceci :« Par ce devoir de contrainte morale, Malthus n’entend aucunement l’emploi des procédés illicites pour entraver la reproduction ; il ne recommande pas aux personnes mariées de limiter le nombre de leurs enfants et de pratiquer, contrairement à la sainteté du mariage, la stérilité systématique. Lisez, de la première à la dernière ligne, l’Essai sur le principe de la population, vous ne rencontrerez rien qui indique l’emploi de ces moyens » (Éléments de science sociale, Poitiers, 1893, p. 573). — M. Schatz (l’Individualisme, p. 167) va jusqu’à dire que la « contrainte prudente » est « énergiquement condamnée par Malthus, en dépit d’absurdes légendes ». Pourtant il nous semble que Malthus n’a rien condamné franchement : car, en condamnant le vice, il n’a pas spécifié en quoi le vice pouvait consister, et l’on sait qu’actuellement les économistes libéraux non catholiques refusent tous de se prononcer sur la moralité ou immoralité de l’onanisme conjugal (Infra, 1. II, ch. x, § 2). — Quant au P. Liberatore, son principal argument contre Malthus est d’opposer la supériorité de reproduction des animaux et des végétaux, d’où il résulte pour l’homme une abondance croissante de nourriture, de vêtements, etc. « La reproduction de l’homme, dit-il, est susceptible de s’accroître sans limites… mais dans le temps nécessaire pour qu’elle arrive à doubler, celle des végétaux et des animaux, sagement encouragée par le travail de l’homme, peut non seulement doubler, mais tripler » ; et il cite à l’appui ce passage de Sismondi (Nouveaux principes d’économie politique, 1. VII, ch. iii, t. II, p. 271) :« Abstraitement parlant, la multiplication des végétaux suit une proportion géométrique infiniment plus rapide que celle des animaux ; et celle-ci est, à