Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/323

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des personnes économiques pourvues de caractères différents. Il n’y a pas jusqu’à la formule du producteur le moins favorisé, regardé comme fournissant la mesure de la valeur courante et normale de chaque objet, qui ne donne l’impression de facultés naturelles spécialement et différemment productives.

Unité du mobile d’égoïsme. — On reproche à Smith de « ne connaître d’autre mobile humain que l’égoïsme et l’intérêt personnel[1] » ; on accuse l’économie politique classique, « par cette érection du principe de l’intérêt individuel au rang de principe suprême de la science économique », de se rendre « impuissante à contribuer à l’accomplissement de l’obligation morale qui incombe au genre humain[2] ».

Or, étudier — comme fait l’économie politique — les conséquences objectives et extérieures du mobile de l’intérêt personnel là où il exerce son action, ce n’est point induire qu’il soit seul à agir sur nous. Au contraire, en un nombre incalculable de passages, Adam Smith parle des « grandes vues de l’intérêt général » ou de la « bienveillance », en même temps qu’il signale le « misérable esprit de monopole », les « clameurs importunes de l’intérêt privé » et « l’excès de cupidité » ou « l’excès d’avarice ». Seulement Smith pense — et sans doute avec raison — que l’immense généralité de nos rapports économiques avec nos semblables se compose de contrats à titre onéreux, c’est-à-dire d’échanges, et non pas de contrats de bienfaisance[3]. Telle est aussi l’opinion de Malthus, qui, tout en

  1. Knies, Die politische Œkonomie vom Standpunkte der geschichtlichen Methode, 1855, p. 270.
  2. Hildebrand, Die Nationalœkonomie der Gegenwart, p. 31.
  3. « L’homme a presque constamment besoin du secours de ses semblables, et c’est en vain qu’il l’attendrait de leur seule bienveillance… Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts… Il n’y a qu’un mendiant qui puisse se résoudre à dépendre de la bienveillance d’autrui ; encore ce mendiant n’en dépend-il pas en tout » (Richesse des nations, 1. I, ch. ii, t. I, p. 19).