Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/462

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Précisément la statistique criminelle a le curieux mérite de fournir des éléments de calcul absolument certains, dans un domaine où l’on pourrait croire que la libre volonté des individus doit donner les résultats les plus capricieux et les moins réguliers. S’il y a des variations d’une année sur une autre, elles tiennent à des causes générales, mais non pas au hasard ; et ces causes elles-mêmes opèrent comme de véritables lois. On peut en suivre l’intensité croissante ou décroissante et l’on peut en tracer la courbe géométrique. Ce qui est même très frappant, c’est que les faits volontaires, comme les suicides, les attentats à la pudeur, l’emploi de tel ou tel moyen de suicide ou de telle ou telle arme de meurtre, présentent une régularité numérique supérieure à celle des faits purement involontaires, comme les morts naturelles.

Quetelet avait très justement posé en principe que la prévision des résultats sera toujours d’autant plus grande que les cas observés pour la détermination du pourcentage seront plus nombreux. C’est la loi des grands nombres. Si l’on opérait avec des combinaisons purement fortuites, on prouverait expérimentalement que la « précision des résultats croit comme la racine carrée du nombre des observations ». En matière de faits libres et moraux, il reste au moins la certitude que « plus le nombre des individus que l’on observe est grand, plus les particularités individuelles, soit physiques, soit morales, soit intellectuelles, s’effacent et laissent prédominer la série des faits généraux en vertu desquels" la société existe et se conserve[1] ».

Poussant plus loin la précision mathématique de ses formules, il avait établi une loi plus intéressante encore, à laquelle est resté attaché le nom de « courbe binomiale de Quetelet ». On peut l’exprimer ainsi : tous les phénomènes qui obéissent à une loi naturelle déterminant un

  1. Physique sociale, t. I, p. 18. — Voyez aussi t. II, pp. 107-108.