Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/542

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cette analyse historique. Quiconque se refuse à croire que de la philosophie de l’histoire on puisse faire une science, doit suspendre son jugement jusqu’après la lecture de ces volumes de M. Comte ». Et cependant, combien ces grandes lignes et ces rigides formules se prêtent peu à la souplesse et à la mobilité des idées dont les cerveaux humains ont été imbus tour à tour ! Il est beau de parler de périodes qui se succèdent et qui se chassent les unes les autres : mais la réalité de l’histoire ne nous montre-t-elle pas bien davantage, soit la coexistence de plusieurs états qui, d’après la théorie, devraient être successifs, soit un mouvement incessant de flux et de reflux qui étend ou qui restreint, de génération en génération, le domaine de chaque système général de cosmogonie et de philosophie ?

En tout cas, ces négations de l’absolu, quelle que pût être leur valeur intrinsèque, devaient être funestes à la vieille conception économique, Celle-ci, en effet, était inconciliable avec le principe : de l’évolution sociologique, puisqu’elle reposait sur la croyance à la nature fixe et immuable du monde et de l’humanité. Il en était ainsi avec Quesnay, Mercier de la Rivière et tous les physiocrates, qui ne mettaient pas en doute l’existence d’un « ordre naturel et essentiel des sociétés[1] » ; il en était ainsi encore avec les hommes de la Constituante, qui émettaient la prétention de donner, dans la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », la formule dogmatique d’un Évangile nouveau, mais immortel ; il en était ainsi enfin avec Adam Smith, Say, Malthus, Ricardo, Rossi, Bastiat et tous les économistes proprement dits, tous également persuadés que le vrai et le bien sont quelque part et que, s’ils sont une fois trouvés, ils sont au nombre des choses qui ne passent point.

L’évolutionnisme pénétrait aussi dans le droit, en même

  1. Titre de l’ouvrage de Mercier de la Rivière, voyez supra, pp. 173, 211, etc.