Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’y apporte pas, comme lui, un esprit élevé et vraiment philosophique — entraîne facilement ceux qui la suivent vers un empirisme étroit et borné, avec lequel la science ne saurait rien avoir de commun. On ne s’est pas assez garanti contre cet écueil dans les études descriptives d’économie sociale qui ont obtenu la faveur du moment. Elles dénotent souvent le travail attentif du naturaliste enregistrant là des faits et ici des chiffres ; mais ce qui leur manque non moins souvent, c’est le sens critique du philosophe ; c’est l’esprit de synthèse et de généralisation du vrai savant. M. du Maroussem, par exemple, dans ses Enquêtes, pratique et théorie, a donné la pleine formule de ce scepticisme historique en décrivant la « méthode empirique de l’esprit », en demandant que « l’économiste empirique se garde surtout des mots travail et capital et de l’expression de valeur », et en comparant finalement le problème de l’étalon monétaire unique ou double à la querelle légendaire des gros-boutiens et des petits-boutiens, que Gulliver avait trouvée au royaume de Lilliput[1]. Parvenu là, on confectionne peut-être des catalogues : mais on a remplacé l’art de les lire par la patience de les dresser. L’historisme lui-même ne commandait pas cette abdication de la faculté de penser et de juger.

Les études sociologiques sur le monde de la préhistoire, que l’on prétend maintenant reconstituer avec l’observation des types sauvages les plus dégradés que l’on puisse retrouver dans l’Australasie, révèlent encore bien davantage cette négation brutale et cynique de l’absolu. Nous ne faisons que les signaler : car ce serait sortir de notre cadre que de rappeler comment les sociologues contemporains refont ; avec Westermarck, la genèse de l’institution du mariage[2], ou bien comment, avec Durkheim, ils s’évertuent à expliquer par un totémisme ancestral notre moderne

  1. Du Maroussem, Enquêtes, pratique et théorie, Paris, 1900, IIe partie, et particulièrement pp. 225, 250, etc.
  2. Westermarck, l’Origine du mariage dans l’espèce humaine, tr. fr.