Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/592

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Il restait donc un domaine inviolable et sacré, où chacun devait se mouvoir soi-même pour être ensuite soi-même jugé d’après sa propre conduite.

Or, cette doctrine, éminemment favorable à la liberté et à la pratique individuelle de la vertu, a subi depuis un siècle et un demi-siècle les plus rudes assauts. Ils lui ont été portés, d’une part par le panthéisme hégélien, d’autre part, par les nouvelles théories de la sociologie évolutionniste, dont Comte et Spencer ont été les initiateurs.

Au point de vue économique, ce sont ces dernières théories qui nous intéressent.

Darwin avait introduit l’idée générale du transformisme dans le domaine de l’histoire naturelle. Le transformisme, c’était la loi de l’évolution de la vie dans l’ordre des espèces animales, avec la théorie de l’adaptation des facultés et des organes aux circonstances et aux besoins, théorie que Lamarck avait ébauchée déjà depuis un quart de siècle[1]. Eh bien, s’est-on dit, n’y a-t-il pas une adaptation semblable des sociétés aux milieux et aux temps ? Le phénomène intime de la vie sociale n’est-il pas le même que le phénomène apparent de la vie individuelle ? N’y a-t-il pas un être social, comme il existe des êtres individuels que nous sommes ? Cet être social, enfin, n’a-t-il pas des lois d’évolution analogues ou semblables à ces autres lois dont l’application spontanée et ininterrompue, sans cesse continuée depuis des milliers et peut-être des millions de siècles, est censée nous apparaître dans l’histoire du règne animal ?

Il restait ce dernier pas à franchir. Auguste Comte et Spencer l’ont franchi l’un et l’autre, et leurs disciples après eux.

Comte appelait la société « le plus vivant des êtres

  1. Monet, chevalier de Lamarck (1744-1829), auteur de nombreux ouvrages de botanique et notamment de la Philosophie zoologique, parue en 1809. C’est là que se trouvent les éléments de cette théorie.