Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/60

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licéité que saint Thomas voulait démontrer, contre ceux qui n’en admettaient aucune[1].

Peut-être aussi la question n’était-elle pas bien posée. Saint Thomas se demandait utrum liceat negotiando aliquid carius vendere quam emere. Eh bien, pourquoi le doute n’aurait-il existé qu’en cas de negotiatio ? Pourquoi aurais-je pu vendre ce que j’avais fait faire par mes ouvriers, plus cher que je ne leur en avais payé la façon ? Pourquoi surtout aurais-je pu vendre pour un prix quelconque un objet que je m’étais procuré sans aucun prix, par exemple, une chose qui m’avait été donnée ou que j’avais trouvée, ou bien encore un bois qui avait poussé naturellement sur mon terrain et que j’avais vendu sur pied, c’est-à-dire sans aucun frais de transport ni d’abattage ? Si le doute est permis à l’égard du commerce et si le théologien ne répond, en ce qui concerne celui-ci, que par des exceptions et des distinctions, il nous semble bien que le doute ou les exceptions seraient encore bien plus logiquement à leur place dans les cas que nous venons de relever. Cependant nous ne les y trouvons pas. Où en est la cause, sinon que les poser, c’eût été condamner toute espèce de propriété territoriale cultivée avec le concours d’autres mains que celles du propriétaire en personne ? C’eût été alors condamner tout le régime économique du moyen âge ; et cette condamnation n’était exigée ni par Aristote, avec sa distinction de l’acquisition primitive et de l’acquisition chrématistique, ni par la théologie contemporaine, avec sa distinction des artes possessivœ et des artes pecuniativœ. Mais il se peut que les socialistes chrétiens de notre temps ne soient que des logiciens impitoyables, lorsque, partis de ces mêmes principes, ils érigent en axiome la formule que le propriétaire foncier ne doit

  1. Par exemple, un peu plus tard, saint Raymond de Pennafort (mort en 1328) n’admettait que le profit industriel, résultant d’une transformation par l’artisan (Summa theologica, I. II, t. VII, §5).