Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/630

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Ils aiment mieux le curé Meslier. Celui-ci, qu’on avait soupçonné quelque peu d’être un personnage légendaire, fut curé d’Etrepigny et de But dans les Ardennes : ayant eu des difficultés avec le seigneur du lieu, il se laissa mourir, de faim, en 1729 ou 1733, après avoir épanché ses rancunes et ses blasphèmes dans un volumineux Testament. Voltaire, d’Holbach et Silvain Maréchal en donnèrent des extraits : mais l’œuvre en son entier n’a été publiée que plus récemment[1]. C’est une virulente satire de la société d’alors, de la religion et aussi de la propriété. « Un abus, y est-il dit, qui est presque universellement reçu et autorisé dans le monde, est l’appropriation particulière que les hommes se font des biens et des richesses de la terre, au lieu qu’ils devraient tous également les posséder en commun, pour en jouir aussi également. »

Entre temps, tout au cours du XVIIe siècle et pendant une partie du XVIIIe siècle, les fameuses missions des Jésuites chez les Indiens du Paraguay présentèrent un essai bien curieux et bien suggestif du régime communautaire, tel qu’il pouvait être conçu pour des sauvages soumis à une rigoureuse discipline chrétienne. Les témoignages divers que l’on en a ne permettent pas de douter que les indigènes n’y aient trouvé un bonheur en harmonie avec leur nature et avec le point de développement économique où ils étaient[2]; on peut même ajouter que ce régime pouvait

  1. Le Testament du curé Meslier existe en trois exemplaires originaux de 366 feuillets, avec la signature de l’auteur. Il a été publié pour la première fois à Amsterdam en 1864, par Ch. Rudolf. — Voir Hugo, Socialismus in Frankreich im XVII und XVIII Iahrhundert (dans die Geschichte des Socialismus in Einzelndarstellungen, viiter Abschnitt, ch. iii, p. 792), et surtout Lichtenberger, Socialisme au xviiie siècle, pp. 75 et s. — Anton Menger appelle le curé Meslier « le premier théoricien du socialisme révolutionnaire » (Droit au produit intégral du travail, tr. fr., p. 85 en note). Théoricien, le mot est absolument impropre.
  2. Laissons de côté le témoignage du P. de Charlevoix, dans l’Histoire du Paraguay, car on le trouverait suspect. Mais voici celui de Raynal dans l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux-Indes:« Lorsque, en 1768, les missions du Paraguay sortirent des mains des Jésuites, elles étaient arrivées à un point de civilisation, le plus grand peut-être où l’on puisse conduire les nations