Était-ce donc, avons-nous déjà dit, que les scolastiques n’eussent pas, pour ainsi dire malgré eux, l’intuition de la productivité du capital argent ?
Nous croyons que cette vue ne manquait pas aux théologiens du XIIIe siècle, et nous n’en voulons pour preuve que le célèbre passage de la Somme théologique où saint Thomas, en condamnant le prêt à intérêt, absout et justifie cependant la commandite. Le motif qu’il en donne, c’est que dans le cas de commandite l’argent demeure la propriété du commanditaire[1] : proposition qui serait un véritable non-sens si l’on s’obstinait à l’entendre de la matérialité des écus au lieu de l’entendre de leur productivité économique ; proposition qui, par conséquent, a le mérite, malgré l’inexactitude juridique de ses termes, de nous faire voir que saint Thomas soupçonne malgré lui une puissance de capital véritablement distincte de cette matérialité. Il y a plus : dès l’an 1206, le pape Innocent III, dans une lettre à l’archevêque de Gênes sur la question du douaire, avait fait expressément remarquer que le douaire des veuves devait dans certains cas être confié à un marchand, afin que des gains honnêtes pussent fournir un revenu[2].
Il y a donc une contradiction au moins apparente entre le principe de la productivité du capital et le principe de
- ↑ « Ille qui committit pecuniam suam vel mercatori, vel artifici, per modum societatis cujusdam, non transfert dominium pecuniæ suas in illum, sed remanet ejus » (Summa theologica, IIa IIae, quæstio LXXVIII, art. 2, ad quintum).
- ↑ Corpus juris canonici, X ; 1. IV, t. xx, c. vu. — Pour la discussion, voyez Ashley, op. cit., 1. II, ch. vi, § LXVII (3e éd. [anglaise], t. II, p. 419).
de l’argent employé comme capital. Il l’aperçoit cependant et l’indique dans plusieurs passages » (Capital, spéculation, et finance, p. 77 et note). — Nous signalons comme particulièrement complet sur cette question le R. P. Castelein, Droit naturel. 1903, thèse XI, pp. 338 et s. Après avoir discuté les textes des Pères de l’Église, le P. Castelein distingue la période de prohibition, qui se dessine au IVe siècle et va jusqu’au XVe, celle de transition, du XVIe au XVIIIe siècle, enfin le XIXe siècle ou « époque de la réforme définitive ». — Étudier aussi de Boehm-Bawerk, Histoire critique des théories de l’intérêt du capital, tr. fr., t. I, 1902, ch. I-III.