Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/671

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immense succès. Mais il ne le mérite pas par l’intérêt qu’il présente, malgré l’épisode insipide des amours de Valmor pour Dinaïse : car je ne saurais m’empêcher d’avouer qu’il est écrit d’un bout à l’autre dans le genre ennuyeux. En ce genre là, toutefois, il n’est pas loin d’être un vrai chef-d’œuvre.

C’est un voyage utopique à la façon de Morus, de Campanella, de Vairasse et de tous les autres. Le régime de l’Icarie est un pur communisme quant aux biens[1], avec travail obligatoire et agréable, mais avec maintien du mariage. Pourquoi le travail est-il agréable ? Cabet glisse sur la difficulté.

« Cela se fait pourtant en Icarie », répond-il à l’objection, comme Hythlodée avait répondu : « Que n’avez-vous été en Utopie ! » En Icarie, l’ordre se maintient spontanément, sans divisions intestines, sans rivalités, et, par conséquent, sans que les magistrats, qui sont électifs, aient besoin d’intervenir. L’illogisme qui résulte de la conservation du mariage « chez les Icariens, fut violemment attaqué, notamment par le journal l’Humanitaire : Cabet répondit d’abord qu’on serait toujours à temps de supprimer la famille[2], ensuite qu’il avait eu peur de la police et des tribunaux.

Les deux originalités du Voyage en Icarie sont : 1° les statistiques annuelles, au moyen desquelles la représentation nationale vote d’avance les quantités à produire dans chaque espèce de denrées[3] ; 2° l’esquisse de la manière

  1. « C’est la communauté, dit Cabet, qui nourrit les citoyens, les vêtit, les loge, les instruit et leur fournit à tous ce dont ils ont besoin, d’abord le nécessaire, ensuite l’utile, et enfin l’agréable, si cela est possible. » C’est une réminiscence de l’article 2 du Code de la nature de Morelly.
  2. « Pourquoi donc — disait Cabet en 1841, dans sa réponse au journal l’Humanitaire, qui s’intitulait communiste babouviste (par opposition aux communistes icariens) — pourquoi donc la communauté (des biens) ne pourrait-elle pas d’abord exister, pendant un nombre d’années plus ou moins grand, avec le mariage et la famille, sauf à les abroger quand on le voudrait et quand la nécessité s’en ferait impérieusement sentir ?… Est-ce que ce n’est pas l’idée de l’abolition de la famille qui a tué les saint-simoniens ? »
  3. La même idée se retrouvera plus tard dans Malon (Socialisme intégral, t. I, p. 539). Celui-ci ne doute point que « des commissions de statistique,