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En tout cas, le raisonnement de saint Thomas ne fut jamais oublié. Il est encore admis au XVIIIe siècle par le jurisconsulte Pothier dans son Contrat des prêts de consomption[1], et il est celui que Turgot combat dans son Mémoire sur les prêts d’argent[2].

On aurait pu objecter qu’une somme future n’est pas égale à la somme présente dont le prêteur s’est privé. Mais entre elles il n’y a que l’intervalle du temps, et les scolastiques n’admettaient pas qu’on pût vendre le temps, parce qu’il appartient à Dieu[3].

Saint Thomas, fidèle en tout à sa thèse de la gratuité du crédit, n’admettait pas non plus qu’on pût vendre plus cher sous la condition d’un paiement différé, ni se faire vendre en dessous du juste prix sous la condition d’un paiement anticipé[4]. Il était, en effet, très logique de condamner

    droit romain. Il appelle d’abord « véritable capital, une maison par exemple », tandis que la maison n’est point un capital au sens classique du mot, c’est-à-dire un capital social ou de production c’est l’observation que nous venons de faire plus haut sur l’argumentation de saint Thomas). Il range ensuite le commodat parmi les contrats « consensuels », au même titre que la locatio conductio — première erreur juridique — et il croit que le commodat représentait essentiellement et uniquement « l’avance de capitaux » — seconde erreur de droit — (Op. cit., pp. 71-74). Or, le commodat s’appliquait parfaitement à des objets qui ne pouvaient pas être utilisés pour la production, tels que des meubles meublants, des bijoux, etc. ; au contraire il ne s’appliquait pas aux immeubles. Bref, il était nécessaire et suffisant qu’il s’agît de meubles et de corps certains : auxquels cas le contrat, quand il était gratuit, était un contrat réel comme le mutuum, bien qu’il différât de ce dernier par l’admission de l’aclio contraria et par le caractère de bonne foi. — Il est évident, dirons-nous, que le droit romain, quand il est ainsi défiguré, ne peut fournir aucune lumière sur l’histoire de l’interdiction du prêt à intérêt.

  1. Contrat du prêt de consomption, IIe partie, §§ 55-56 (Ed. Bugnet, t. V, p. 64). — Plus exactement, Pothier développe d’abord l’argument que le droit romain paraissait fournir avec la théorie des contrats re : « ne vous ayant donné que la somme d’argent et rien de plus, je ne puis exiger de vous rien de plus que cette somme » ; puis il expose l’argument de saint Thomas, qu’il appelle « un argument assez semblable au nôtre ».
  2. Op. cit., xxvii (Œuvres, édition Guillaumin, t. I, pp. 124 et s.)
  3. Cet argument se rencontre dans le traité De usuris, pars I, c. iv., attribué à saint Thomas, mais probablement apocryphe.
  4. Voir nos Éléments d’économie politique, 2e édition, p. 470. — Summa theologica, IIa, IIa, quæst. LXXVIII, art. 2, ad septimum : « Si quis velit carius vendere res suas quam sit justum pretium, ut de pecunia solvenda