Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/81

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L’énergie avec laquelle Oresme décrit les maux qui s’ensuivent et défend les droits de la communauté contre l’absolutisme du souverain, montre bien un esprit profondément impressionné par toutes les falsifications des règnes précédents, non moins que sincèrement libéral et partisan de ce que nous appellerions aujourd’hui un régime constitutionnel.

Ce sont les rois qui ont altéré les monnaies : mais la société elle-même, le peuple, la « communauté » en un mot pour qui est fait l’usage de la monnaie, le pourraient-ils mieux que les rois ? Non, répond Oresme : « tous les inconvéniens dessus diz retourneroient a la communaulte, et n’y fait riens la raison première, en laquelle on disoit que là pecune et monnoie appartient a la Communaulte, ne aucun ne peut justement abuser de sa chose ou illicitement user, si comme feroit la communaulte, si elle faisoit la mutacion telle de monnoie[1]. »

Oresme, très nettement partisan du bimétallisme, n’en connaît pas moins les variations de valeur des deux métaux. « Ceste proportion, dit-il, doit ensuivir le naturel habitude ou valeur de l’or a l’argent, en préciosité ; et selon icelle, doit estre ceste proportion instituée, laquelle il ne loist voluntairement transmuer, ne aller contre, ne si ne se peult justement varier, ce n’est pour cause raisonnable, et par la variacion de ceste matière en partie, laquelle advient peu souvent[2]. » L’ajustement de leur valeur doit être fait, s’il y a lieu, sans aucune spéculation du prince. Quant aux altérations quelconques, elles aboutissent fatalement, entre autres effets, à une émigration du métal fin ou bonne monnaie. « L’or et l’argent, dit-il, par telles mutacions et empirements, se amoindrist et diminue en ung Royaume, et nonobstant toute la garde et défense que on en fait, sest transporte il dehors ou l’on

  1. Op. cit., ch. xxii, p. LXVII.
  2. Op. cit., ch. x, p. XXX.