Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/182

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l’homme ; mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt ; et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien… Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit, mais par la pensée je le comprends.[1]

Singulière contradiction ! Par sa nature, par ses besoins éternels, la raison est le plus incontestable de nos titres de noblesse ; par ses œuvres, elle nous crée sans cesse des titres au ridicule. L’homme est ainsi fait que ses œuvres partout contredisent ses aspirations. Le savant cherche le vrai ; est-il un vrai savant qui ne soit pas convaincu de son ignorance ? Les nations soupirent après la justice, et se réfugient entre les bras de la force. L’homme cherche le bonheur et ne le trouve pas.

Le bonheur qui nous vient du dehors a peu de prix ; il ne dépend pas de nous ; il peut nous être enlevé d’un moment à l’autre. Les sources du vrai bonheur sont, avec les sources de la vie, dans le cœur de l’homme. Mais l’homme n’ose pas rentrer en lui-même ; au lieu d’y trouver l’ordre et la paix, il n’y rencontrerait que désordre et confusion. Aussi, que fait-il ? Il n’apaise pas cette soif de bonheur qui le dévore, il la trompe.

On charge les hommes, dès l’enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du

  1. Pensées de Pascal, édit. Astié, II, p. 177.