Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/250

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Vivre, sachez-le bien, n’est ni voir ni savoir,
C’est sentir, c’est aimer ; aimer c’est là tout vivre.

Ce serait mal entendre M. Sainte-Beuve que de chercher à le saisir dans un de ces moments successifs ; la vérité de son caractère ne se montre que dans l’ensemble. Il faudrait du temps et des informations exactes et sûres pour démêler toutes les causes de cette apparente versatilité. J’en juge à distance, mais il est facile, ce me semble, d’en indiquer au moins une, la plus considérable peut-être. On parle trop souvent des hommes comme si leurs opinions se formaient d’une manière abstraite, et n’étaient que le résultat d’un syllogisme vainqueur. Combien rarement il en est ainsi ! Nos opinions ne sont que notre vie intérieure réfléchie par la raison, traduite en idées. S’il y a en nous des forces cachées qui languissent sans emploi et portent le trouble autour d’elles, ou bien si ces forces, déjà déployées, n’ont pas encore réussi à se combiner pour agir, si elles nous tirent en sens divers, nos opinions ne sauraient manquer de reproduire exactement ce trouble et ce combat. Il en fut ainsi de M. Sainte-Beuve. Il avait de la poésie dans l’âme, ses vers ont de l’accent ; néanmoins il est certain que le simple rêve poétique ne pouvait pas suffire à une nature si diversement douée, et l’on peut croire que sans Victor Hugo il aurait été poète d’une manière plus discrète