Combien de temps une pensée,
Vierge obscure, attend son époux !…
Comptez-vous aussi pour rien ces refrains gracieux qui, mêlés aux refrains satiriques, ont fait pénétrer dans la mansarde de l’ouvrier la poésie de la sensibilité ? Faut-il enfin compter pour rien cette passerelle jetée un jour jusque sur la rive de la poésie populaire, où habite l’art naïf ? Prolongez la ligne, et vous verrez s’approcher le terme où Béranger et M. Renan pourront, sinon se tendre la main, au moins se saluer à distance.
L’histoire de l’esprit français semble confirmer ce présage. Le positivisme de l’imagination, si on peut appeler ainsi l’erreur de Béranger, date de loin. Le XVIIe siècle, si délicat qu’il fût, n’y a pas peu contribué. N’est-ce pas lui qui a tari les grandes sources ? Le XVIIIe siècle en a vu l’apogée. Voltaire eut l’esprit vif et sec, l’imagination mobile, fiévreuse et pauvre. Sauf le cabaret, son Dieu ressemble fort à celui des bonnes gens. Cependant le remède naquit de l’excès même du mal. Une réaction se prononça ; la race des rêveurs, qu’on pouvait croire éteinte, reparut tout à coup. On eut Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, puis Chateaubriand, qui annonçait Lamartine. Il n’est pas douteux que les deux derniers n’aient récemment agi sur le tempérament poétique et religieux de la France. Au fond subsiste toujours l’esprit de Voltaire, qui revit dans Béran-