Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/416

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laisse deviner ce qui pourrait être. On a vu en France le plus grand poëte de l’école romantique et celui qui devait devenir le premier critique des temps modernes unis un instant d’une amitié si étroite qu’ils semblaient n’être qu’un. Cette amitié n’a peut-être pas exercé une grande influence sur le premier ; mais elle a valu au second une initiation de poésie dont la trace est visible dans toute son œuvre. Artiste déjà, il l’est devenu plus encore et n’en a été que plus critique. Mais cet exemple n’est rien en comparaison de celui qu’offrait l’Allemagne à la fin du siècle passé et au commencement de celui-ci. Son plus grand poëte et son plus grand critique étaient alors réunis dans une seule et même personne, et il est assez évident que si le poëte devait sa finesse au critique, le critique’devait sa perspicacité au poëte. Est-ce de Schiller, est-ce de Gœthe que je parle ? Je pensais plutôt à Gœthe ; mais on pourrait, de Schiller, en dire presque autant. Et ce qu’il y a de merveilleux, c’est de voir ces deux génies se mirer l’un dans l’autre. Avec quelle pénétration Schiller entrait dans la pensée de Gœthe, avec quelle facilité Gœthe se mouvait dans celle de Schiller ! La manière dont ils se critiquent mutuellement est celle de deux poètes qui se comprennent par l’âme. Jamais, peut-être, la critique n’a été plus intime, parce que jamais elle n’a été plus près de la poésie. On eût dit le génie de l’Allemagne partagé en deux moitiés qui, s’étant reconnues et ne pouvant