Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/287

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incompatibilité d’humeur et d’intérêts entre la poésie et la société.

Pourquoi cette fuite mutuelle ? Quelles en sont les causes ? Elles sont nombreuses, et je ne puis qu’en toucher une ou deux. Nul doute qu’il ne faille en chercher une dans la doctrine de l’art pour l’art mise a la mode par les romantiques. Une grande vérité se cache et s’enveloppe dans cette formule. Oui, certainement, le beau mérite d’être cherché pour lui-même, et l’on fait toujours, à la longue, une œuvre mauvaise et pernicieuse quand on le subordonne à quoi que ce soit. Au moins faut-il que, dans ses courants les plus élevés, la vie poétique se degage de tout ce qui pourrait en empêcher le libre déploiement. La poésie peut instruire et charmer, mais elle n’a pour objet essentiel ni le plaisir ni l’enseignement, et les romantiques avaient raison lorsque, rompant avec les traditions du XIIIe siècle, ils réclamaient en faveur du poëte et demandaient pour lui l’independance du rêve et le jeu spontane de la fantaisie. C’est un des droits, c’est un des privilèges de l’esprit : le lui refuser, c’est l’amoindrir. Mais les i-omantiques ne s’en tinrent pas la. À force de répéter que l’art ne relève que de l’art, ils finirent par se persuader qu’il peut se déployer dans le vide ; qu’on peut être artiste ou poëte sans rien savoir des choses humaines, sans idées, sans études, même sans passion, ce qui, sous prétexte de liberté, devait les