Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/291

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commune, d’interets solidaires, de passions contagieuses ? Il ne reste que des goûts. Quelques rares amateurs conservent celui de la poésie, qui s’exalte par sa singularité même, qui devient un culte, mais un culte condamné à une dégénérescence presque forcée. Les échos faisant défaut, ainsi que les hautes inspirations, le poëte cesse d’être une voix, il cesse d’être le croyant, le voyant, le vates, il devient un ouvrier adroit de sa plume, comme d’autres le sont de leurs mains ou de leur outil, un ciseleur de mots, un arrangeur de sons, un sculpteur, un virtuose, et le culte de la poésie n’est plus que le culte de la forme poétique, l’adoration du vers. Et c’est ainsi que de l’immense masse béotienne, enfoncée dans la matière, se détache pour aller vivre à l’écart le petit groupe des Parnassiens.

Et cependant, si les Béotiens de l’Empire, dérobant un instant à leurs affaires et à leurs plaisirs, avaient pris la peine d’aller écouter aux portes du mont sacré, ils auraient entendu des vers, à eux personnellement adressés, et faits pour donner a réfléchir à ceux qui en étaient encore capables :


Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
Châtrés dès le berceau par le siècle assassin
De toute passion vigoureuse et profonde,

Votre cervelle est vide, autant que votre sein.
Et vous avez souillé ce misérable monde