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Page:Ramuz - Œuvres complètes - tome 8, 1941.djvu/121

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Ils étaient une quinzaine, il faisait complètement nuit ; cela se passait tout en haut du dernier raidillon qu’on prend pour éviter les lacets de la route, c’est-à-dire à quelques pas du village ; les deux voix tout à coup étaient montées dans le silence.

Ils s’étaient jetés l’un sur l’autre. Et ceux qui les accompagnaient, au lieu de chercher à les séparer, comme on tâche toujours de faire, s’étaient trouvés partagés en deux camps ennemis, et les excitaient tour à tour : « Vas-y, Bernard ! » « Vas-y, Jean ! » qui n’avaient pourtant pas besoin d’être excités, parce qu’une égale fureur leur avait enflammé les moelles.

Trois fois ils s’étaient relevés, trois fois ils étaient retombés ; une petite lune sortait de derrière les nuages. Lune, tu es témoin, c’est le soir sur la route, et c’est le temps de la vendange, et aussi on a beaucoup bu ; mais ça n’explique pas pourquoi les deux garçons se tiennent comme ça couchés l’un sur l’autre, et celui qui est dessus tape de toutes ses forces dans la figure de celui qui est dessous. Et à présent, est-ce qu’on comprend mieux ? parce qu’ils ne sont plus seulement les deux à se battre, mais tous ceux qui sont là se sont empoignés. On ouvrait les fenêtres. Les hommes sortaient avec des lanternes, ils disaient : « Qu’est-ce qu’il arrive ? » et puis voyant que la lune éclairait : « Mon Dieu ! là-bas ! » et les femmes : « Mon Dieu Mon Dieu ! » et les femmes sorties, et jusqu’à des enfants en chemise, bien que la nuit fût froide, et la bise soufflait.

Les plus courageux des gens du village s’étaient approchés, quelques-uns armés de bâtons ; mais vainement essayèrent-ils d’intervenir, il fallut attendre que la bataille prît fin d’elle-même, faute de combattants.