Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/12

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— Quant à ta femme, a-t-il recommencé, dis-toi bien que tu auras une scène, quoi que tu fasses, et que donc, de ce côté-là, tu as de quoi te consoler… Au revoir.

Il sort par la terrasse.

L’autre tenait toujours la lettre dans sa grosse main molle aux poils roux. Il faisait un grand soleil que le lac renvoyait. On voyait les branches nues des platanes aller à la rencontre l’une de l’autre comme les poutres d’un plafond ; elles projetaient leurs ombres jusque sur les tables de la salle à boire, dans le bout desquelles elles se cassaient, laissant tomber leur autre moitié sur le plancher. Mais il y avait aussi les ombres des branches au-dessus de vous, quoique plus vagues, à cause de la lumière d’en bas. On la voyait venir par-dessus le mur bordant la terrasse, elle frappait de bas en haut les branches et les gros troncs verts, faisant bouger sur le plafond ces autres ombres un peu plus pâles. Et Milliquet a avancé un pied dans sa pantoufle de lisière, il avance l’autre pied : quoi faire ? ah ! mon Dieu, oui, quoi faire ? ayant une petite moustache sans couleur, et un poil rare et sans couleur sur ses grosses joues tombantes couvertes de taches de son ; regrettant de ne pas avoir déchiré la lettre dès sa venue, mais enfin le facteur avait dû déjà remarquer le timbre, on n’en voit pas souvent de cette espèce par chez nous ; de toute façon…

De nouveau, il avance le pied droit, puis l’instant d’après le gauche…