Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/188

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Il s’avança un peu, il vient en avant avec maladresse, puis le voilà qui dit : « Eh bien vous voyez ; » il dit : « Eh bien, vous voyez, ça va bien. » Elle, elle ne savait pas que faire ; elle, elle n’était déjà plus elle ; elle respirait avec essoufflement, et effort, et difficulté ; Décosterd pose sur la table le verre qu’il tenait à la main.

Il fait un léger bruit en le posant sur la table, alors Rouge, comme s’il se réveillait : « Décosterd, il faudrait la tirer de côté, ça ferait de la place… Donne-moi un coup de main. On va la pousser contre la porte de ma chambre… » Il vient. Les deux hommes tirent la table de côté.

Puis Rouge : « À présent, vite les bouteilles ! » et il revient, une bouteille sous chaque bras.

C’est l’autre vie qui recommence ; on n’y a pas sa liberté.

Il débouche les bouteilles. Il n’ose plus la regarder. Elle s’était adossée au mur, elle attendait. Elle sourit toujours avec ses dents qui brillent. Il n’ose plus regarder ces dents. Il s’affaire, il fait des gestes, il débouche les deux bouteilles, il dit à Décosterd : « Il y a bien quatre verres ? ah ! c’est qu’on n’est pas riche en verres… » Il crie ensuite : « Eh ! Monsieur Urbain, vous ne venez pas ? on vous attend… Vous ne venez pas trinquer avec nous ?… »

Il a rempli les verres, c’est de l’or, de l’or un peu vert, mais d’une belle limpidité : il y a tout de même ça dans notre pauvre petite vie.

Il lève son verre plein jusqu’au bord :